Sex ratio et classes d'âge

Publié le 7 Août 2016

Sex-ratio

Dans une population donnée, au sein d’un écosystème, les biologistes s’amusent quelquefois, lorsque l’information est disponible, à compter le nombre de mâles et de femelles, et faire le rapport entre les deux nombres, appelé sex-ratio. On s’attend en général à avoir un sex ratio de 1. Ceci est dû à un principe connu sous le nom de théorie de Fisher (1930) (apparemment avec un argument qui remonte à Darwin). L’idée est de dire qu’un sex ratio de 1 est un équilibre stable. L’argument synthétisé est le suivant : si une espèce a tendance a produire moins de mâles en moyenne, ceux-ci auront plus de chances de se reproduire que les femelles (car plus rares) ; comme il y a une variabilité génétique, les individus qui produisent un peu plus de mâles auront donc plus de descendants ; et finalement au bout de quelques générations ceux-ci seront dominants, ce qui permettra de revenir progressivement à l’équilibre. Selon ce schéma général, une espèce qui produit plus de mâles ou plus de femelles ne pourra pas le faire longtemps.

Mais malgré ce principe général, il semble que dans certaines circonstances apportant du stress, les femelles ne suivent plus ce principe, et tendent à produire plus de mâles ou plus de femelles à la génération suivante. Le sex-ratio est alors déséquilibré dans ces situations de stress. La raison n’est pas toujours bien comprise, mais est sans doute liée à des mécanismes codés dans notre structure génétique, permettant à l’espèce de répondre à la situation de stress. Par exemple notre étude Schmitt et al., CNSNS 13, 407 (2008), parmi de nombreuses études existant sur le sex ratio de copépodes ou d’autres espèces.

Sex-ratio en France

Chez les humains, il n’est pas facile de généraliser pour l’ensemble de la planète, car certains pays ont culturellement tendance à privilégier les garçons, des pays très peuplés comme l’Inde et la Chine, et il existe alors un déséquilibre provoqué par la culture, et non programmé à l’intérieur de nos gênes.

Si on considère le cas de la France, pour lequel les données précises existent, mises en ligne par l’INSEE, on constate qu’en 2015, il est né en France plus de garçons que de filles. Plus précisément, le sex ratio F/M est de 0.956 à la naissance. Ceci tend à indiquer que l’espèce humaine a codé en elle un sex ratio déséquilibré. Est-ce compatible avec la théorie de Fisher ? L’avantage des données humaines est de pouvoir disposer du sex ratio non pas pour l’ensemble de la population, mais par classe d’âge, ce qui est difficile à considérer pour certaines espèces. Les données de l’INSEE permettent d’avoir accès à cette information : au 1er janvier 2016, le nombre de Français vivants, né de 1916 à 2015 est donné dans une table, permettant d’estimer le sex-ratio par classe d’âge. La courbe 1 montre cette évolution. On voit que le sex ratio est apparemment assez proche de 1 jusqu’à environ 80 ans, puis il monte brusquement. Ceci est une vue globale, mais en zoomant sur certaines parties de la courbe, on voit des informations supplémentaires.

Figure 1: sex ratio en France par classe d'âge

Figure 1: sex ratio en France par classe d'âge

Figure 2: zoom de 0 à 40 ans
Figure 2: zoom de 0 à 40 ans

Sex ratio de 0 à 30 ans

La figure 2 montre un zoom sur la partie de 0 à 30 ans (ici l’échelle verticale est aussi zoomée, allant de 0.94 à 1.06). On constate que jusqu’à 20 ans, le sex ratio reste très stable, autour de 0.95-0.96, il y a donc toujours plus de garçons que de filles jusqu’à 20 ans. Puis le sex ratio augmente brusquement, franchit la ligne « 1 » et monte jusqu’à 1.05 à 30 ans. Ceci peut s’expliquer par la tendance des jeunes adultes mâles à pousser leurs limites, pour se prouver quelque chose, ou pour se faire remarquer des filles, avec pour résultat un taux de mortalité par accidents plus forts. Le résultat est l’inversion de la courbe à l’âge de 24 ans. Ce résultat montre également que la thérie de Fisher est sans doute valable, puisque à l’âge de reproduction, le sex ratio est de 1.

Figure 3: zoom de 20 à 60 ans
Figure 3: zoom de 20 à 60 ans

Sex ratio de 30 à 60 ans

La figure 3 montre le sex ratio de 20 à 60 ans. On constate que le sex-ratio atteint une valeur maximale autour de 30 ans, puis redescend à une valeur quasi à l’équilibre autour de 40-45 ans. Ceci indique une baisse du nombre de femmes entre 30 et 40 ans. Il s’agit de la période de fertilité féminine et la seule explication est de penser à une fragilité liée aux accouchements, amenant à une baisse statistique du sex ratio. Le nombre de morts au moment de l’accouchement est très faible en France (70 environ par an) et ne peut pas expliquer à lui seul cette baisse.

Ensuite le sex-ratio monte très régulièrement, de 45 à 60 ans, atteignant 1.1 à 60 ans. C’est traditionnellement expliqué par une mortalité supplémentaire des hommes liée à leur mode de vie.

Figure 4: zoom de 40 à 100 ans
Figure 4: zoom de 40 à 100 ans

Sex ratio de 40 à 100 ans

La figure 4 montre la fin de la courbe, de 40 à 100 ans. L'échelle verticale est agrandie, allant jusqu'à 6. On voit une courbe qui ressemble clairement à une exponentielle. Pour le savoir, il faut représenter le logarithme de l’ordonnée en fonction de l’abscisse. Si la courbe est une droite, on a une exponentielle.

Figure 5: une loi exponentielle (log-linéaire)
Figure 5: une loi exponentielle (log-linéaire)

La figure 5 représente le ratio F/H-1 (on enlève 1 car l’exponentielle commence à gauche à 0 et non à 1) en fonction de l’âge, de 30 à 100 ans. On voit une belle portion de droite, marquée par la droite en pointillés. Cette droite est obtenue pour les personnes les plus âgées, entre 68 et 99 ans. L’équation de la droite est A.exp(Age/8.5), avec A=0.000034.

Figure 6: données et ajustement
Figure 6: données et ajustement

Pour finir la figure 6 représente la superposition, de 60 à 100 ans, des données avec l’ajustement exponentiel, en échelles linéaires, montrant que l’ajustement fonctionne très bien.

Cette loi exponentielle correspond à une multiplication par 10 du sex ratio tous les 8.5.ln(10)=19.6 années. En gros, le sex ratio est multiplié par 10 tous les 20 ans, à partir de 68 ans. Une telle loi, si nette, pourrait indiquer une inscription dans nos gênes d’une mortalité plus rapide chez les hommes. Ou alors ceci serait lié à la culture et au mode de vie, mais il paraît étonnant de voir que la culture peut produire une loi exponentielle si bien suivie.

Pour les centenaires, il serait intéressant de voir si cette tendance se poursuit, mais l’INSEE ne fournit pas ces données pour les âges supérieurs à 100 ans.

Rédigé par Francois G Schmitt

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